Le 2 novembre dernier, lors du salon vétérinaire « Veterinexpo », une table ronde sur la Fièvre Catarrhale Ovine ( FCO ) a réuni plusieurs intervenants investis dans la problématique FCO ( voir encadré ). Jean-Yves Houtain y représentait les éleveurs, pour l’ARSIA.
Les intervenants
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Actualité oblige, les échanges ont prioritairement porté sur la décision ministérielle d’imposer la vaccination FCO chez les bovins et ovins et MHE ( Maladie Hémorragique Epizootique ) chez les bovins. En effet, selon David CLARINVAL, ministre de l’Agriculture : « La vaccination représente non seulement une protection essentielle pour notre cheptel, mais aussi une garantie pour l’avenir économique de toute la filière agricole. En misant sur une prévention rigoureuse, tout en l’associant à des facilités pour les éleveurs, nous assurons la résilience de nos élevages et la sécurité sanitaire de notre pays. Les coûts de cette vaccination seront à la charge des éleveurs. Toutefois, les éleveurs d’ovins qui procèdent à la vaccination en 2025 bénéficieront d’une dispense de cotisation au Fonds sanitaire ( FS ) ».
H. Guyot ouvre le débat : « Que penser de cette obligation… non subsidiée ? » Selon JY Houtain, il s’agit d’une première. Généralement ces décisions sont assorties d’une aide de l’état ou d’un financement du vaccin ( quoique, en IBR, la vaccination obligatoire était à charge de l’éleveur ). « Force est de constater qu’une vaccination libre, ça ne marche pas, c’est inefficace. Cette décision aura le mérite de limiter les catastrophes en 2025 ». L. Théron le confirme, « Il n’y a pas eu plus de 10 à 15 % de vaccinations volontaires dans nos cheptels « . La dispense de cotisation au FS ovin annoncée a toutefois inspiré un calcul rapide à L. Martinelle. « Imaginons un troupeau de 100 moutons. Si on confronte les chiffres du coût vaccinal et la dispense de cotisation au FS, l’éleveur arrive à vacciner moins de 40 % d’ovins, en termes de financement ». L. Théron précise : « Pour la MHE, selon un GDS français, les pertes réelles s’élèvent à 160 € par tête en moyenne avec un rapport de 1/10 coût de la vaccination/coût des pertes ».
JY Houtain précise : « seuls 30 % des éleveurs ovins cotisent au FS, car il s’agit d’un secteur mouvant, avec beaucoup d’hobbyistes ». Il n’empêche que le Fonds a des réserves et que cette obligation pourrait l’amener à délier sa bourse, même si ce n’est pas prévu dans ces circonstances ( ndlr : pour rappel, le FS indemnise en cas d’abattage par ordre – exemple : en cas de tuberculose – mais ne rembourse pas les pertes économiques ).
L. Martinelle remet cette décision dans le contexte de la Loi de Santé Animale qui va globalement dans le sens d’une responsabilisation accrue des éleveurs. Toutefois, on peut se demander s’il n’aurait pas été préférable d’encourager à la vaccination volontaire, avec une participation financière. Autrement formulé : « On vous aide mais si vous ne vaccinez pas et qu’il y a de la casse dans votre cheptel, vous devrez l’assumer ».
Et au niveau européen, quel son de cloche ? Depuis l’entrée en vigueur de la Loi de santé animale, la FCO a été « déclassée » par la Commission Européenne d’un niveau d’importance très élevé équivalent à la Fièvre Aphteuse, et donc géré à l’échelon européen, vers la catégorie des maladies gérées à l’échelon national à savoir le niveau « C ». Or la FCO est clairement une maladie transfrontalière. « Si l’Europe n’est pas la mieux placée pour la gérer, je ne vois pas qui d’autre peut le faire à sa place », constate JY Houtain.
Quelle est la position des éleveurs face au communiqué du Ministre Clarinval ? La FWA refuse le plan tel que proposé, d’une part parce qu’il n’est pas financé et d’autre part parce que le plan de vaccination n’est pas clair. En effet, nombres de points doivent être éclaircis. Peut-on administrer les trois vaccins le même jour ? En zone infectée FCO 3 ( soit toute la Belgique ), une seule vaccination suffit-elle, comme rappel ? Ne faut-il pas vacciner uniquement les jeunes animaux, naïfs envers les virus ? Ou encore, y a-t-il un intérêt à vacciner en 2025 les troupeaux infectés en 2024 ? A cette dernière question, et selon l’expérience néerlandaise, il apparait que oui, répond L. Théron, car à l’issue de l’épisode 2023, seulement 30 % des animaux présents dans les troupeaux infectés se sont révélés exposés au virus et donc, immunisés. Les infections « naturelle » s’échelonnent dans le temps, à la faveur de l’activité variable du culicoïde entre autres et sans doute, ce qui explique que pas mal d’élevages ont trainé de longues semaines avec cette maladie. A propos de la persistance du culicoïde, L. Martinelle précise que « des culicoïdes « actifs » ont été décelés dans des étables, en hiver, à la température de 7°c… ».
Si la vaccination est à charge des éleveurs, souligne L. Théron, « elle l’est aussi pour une grande part à charge des vétérinaires qui avancent l’argent pour l’achat des vaccins, les stockent et les conservent… mais ne sont pas certains de leur taux d’utilisation. On a intérêt à ne pas « survacciner », d’où la nécessité d’un plan de vaccination murement réfléchi et pertinent. Ce qui sera le travail et l’expertise des vétérinaires du SPF et des représentants des praticiens ruraux ». Par ailleurs, si les éleveurs pourront administrer les vaccins eux-mêmes à condition de signer un contrat de guidance avec leur vétérinaire d’exploitation, il rappelle : « La vaccination imposée implique une certification qui ne peut porter que sur les vaccinations effectuées par le vétérinaire ». Ceci pour éviter de perdre des doses. Cela devra être également et clairement mis en place.
L. Théron partage son inquiétude face à un quadruple constat : « Nous n’avons plus de programme de surveillance des vecteurs. La surveillance virologique ( PCR ) a été interrompue pour des raisons financières et reprend, mais de manière aléatoire. Il n’y a pas d’aides sur les plans de vaccination, en termes de vision pour la pérennité du secteur allaitant ou laitier bovin et ovin, alors que le budget nécessaire ( 15 millions ) est minime à l’échelle de l’Etat Belge et de son PIB. Qu’on ne trouve pas cette somme pour aider l’élevage me dépasse, d’autant plus que d’autres discours politiques promettent l’investissement dans la souveraineté alimentaire. Enfin, côté Europe, on ne voit pas non plus de réelle volonté de protection, comme c’était pourtant le cas dans le passé ».
JY Houtain confirme un désinvestissement progressif au niveau européen mais aussi national depuis plusieurs années. Dans l’élevage en général mais aussi et en particulier dans le sanitaire, s’inquiète-t-il. « Un exemple en est la lutte contre la tuberculose, qui a toujours été financée par l’Etat jusqu’il y a peu. Or depuis 3 ans, c’est le Fonds sanitaire alimenté exclusivement par les éleveurs qui finance cette lutte… Il s’agit pourtant d’une zoonose, le citoyen devrait logiquement contribuer à sa surveillance ».
« Dans ces conditions peu favorables au soutien de l’élevage, réagit L. Théron, si elles se confirment et se multiplient à l’avenir, il ne faudra plus conseiller à des jeunes de s’investir dans 6 année d’études de médecine vétérinaire, pour s’échouer ensuite dans un secteur sinistré et abandonné ».
Quant à la disponibilité vaccinale, à l’avenir, il faut s’attendre à ce que la lutte contre ces maladies soit menée avec des vaccins sous « autorisation temporaire d’utilisation », parce que cela fait partie de la nature de ces pathologies. « Voyez en médecine humaine, la grippe, le covid, c’est faisable grâce à une pharmacovigilance soutenue », rappelle L. Théron. Ce modèle devrait idéalement exister à l’échelle européenne, en termes de prévention sanitaire efficace pour tous nos animaux de rente. Au-delà de l’environnement politique et réglementaire, il rappelle la réalité biologique : « Quand la maladie tombe sur des troupeaux productifs et naïfs, débourser 11 € de vaccin contre 160 € de frais pour en sortir prend tout son sens « .
H. Guyot s’inquiète de la suppression du financement des analyses FCO et surtout MHE. En termes de surveillance de cette dernière, n’est-ce pas une faille dangereuse ? JY Houtain abonde dans son sens, en précisant que cette suppression a été dénoncée par l’ensemble des experts car elle mettait en péril la détection précoce des 2 autres maladies vectorielles à fort risque d’émergence. La seule motivation derrière cette décision est d’ordre budgétaire. Il s’agit d’un arrêt temporaire qui devrait reprendre au 1er janvier 2025 mais se posera la question de la bonne utilisation du budget en 2025 en confiant davantage d’analyses aux laboratoires de première ligne.
Pour conclure, et avec le constat que beaucoup de questions demandent encore réponse, alors que nos élevages sont envahis de FCO-3 et menacés par la FCO-8 et la MHE, les spécialistes s’inquiètent aussi de l’émergence récente du sérotype 12 de la FCO pour la première fois en Europe, aux Pays-Bas, en octobre dernier… Vigilance et prévention s’imposent… mais avec quel soutien ?