La Belgique est cernée… Au Sud, la maladie hémorragique épizootique ( MHE ) remonte la France. Au Nord, la fièvre catarrhale ovine ( FCO ) sévit aux Pays-Bas. Deux maladies émergentes, vectorielles, non transmissibles à l’humain. Mais affectant gravement notre bétail.
Circulation intense en Europe
Quelques notions…
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Jusqu’en 1998, en Europe, la FCO était considérée comme maladie «exotique». En 2006 et 2007, survient son apparition et son expansion imprévisible dans le nord de l’Europe, apportant un éclairage nouveau sur les capacités d’émergence et d’extension des maladies vectorielles. Depuis 2008, une dizaine de sérotypes ont circulé en Europe.
La maladie hémorragique épizootique, sérotype 8
Non contagieuse entre animaux mais transmise par un moucheron piqueur, cette maladie est due à un virus proche de celui de la FCO ou maladie de la langue bleue. Chez le bovin, les symptômes des deux pathologies ( voir tableau page 3 ) sont d’ailleurs à ce point similaires qu’elles ne peuvent être distinguées cliniquement; seules des analyses de laboratoire le permettent. Sept sérotypes ( 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8 ) du virus sont actuellement connus, dont le potentiel pathogène est variable ; le sérotype 2 par exemple, décrit au Japon, entraine une mortalité élevée chez le bovin ( 10 %) alors qu’en France, le taux de mortalité lié au sérotype 8 avoisine 1 %.
D’une manière générale et selon les données actuelles, en termes de mortalité et de manifestations cliniques, les ruminants sauvages (cerfs) sont les plus sensibles, les bovins moins et les petits ruminants quasi pas.
Avant 2022, la maladie sévissait en Amérique, en Asie, en Australie et en Afrique où elle se cantonnait aux frontières de l’Europe, sur le pourtour méditerranéen. Ensuite, comme on le redoutait, de premiers foyers ont été signalés en Sardaigne et en Sicile en octobre 2022, puis en Espagne et au Portugal, y provoquant des pertes importantes. Parmi les diverses hypothèses pour expliquer cette dissémination vers l’Europe, la plus probable reste les vents sahariens ( le fameux Sirocco ) permettant des déplacements de moucherons infectés sur de longues distances. Quoiqu’il en soit, le 9 octobre 2023, le virus a atteint le sud-ouest de la France, où il y fait depuis une progression fulgurante vers le Nord.
Sachant qu’un des vecteurs ( Culicoïdes obsoletus ) est présent dans toute l’Europe, l’épidémie va continuer de progresser vers le nord et la maladie deviendra vraisemblablement endémique ( càd qu’elle s’installera sur notre continent ) si rien n’est fait pour lutter. Selon des études sur les vecteurs et les vents dominants, la contagion pourrait arriver en Belgique assez rapidement, dès le mois de mai 2024 selon le pire des scénarios…
La fièvre catarrhale ovine, sérotype 3
FCO, MHE : deux maladies cliniquement très similaires. Les tests de laboratoire permettent le diagnostic.SYMPTOMES potentiels :
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Le premier cas a été identifié près d’Amsterdam, en septembre 2023, chez des ovins. Des bovins présents dans l’élevage étaient positifs également. Les groupements de défense sanitaire des Pays-Bas annonce «pas moins de 4 355 foyers confirmés par PCR depuis le début de l’épizootie…», et des symptômes liés à ce sérotype 3 plus sévères qu’avec le sérotype 8 que nous avons connu en Belgique.
L’origine de l’épidémie reste à ce jour inconnue et aucun lien génétique n’a été établi avec les sérotypes 3 circulant en Italie ou encore en Israël. Sa progression s’étend vers l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique avec 7 foyers jusqu’à présent, en province d’Anvers (5 chez le mouton et 2 chez le bovin).
Selon des études prévisionnelles, la maladie pourrait s’étendre dans notre pays, et ce dès le mois de mai prochain…
L’organisation néerlandaise des éleveurs de moutons et de chèvres estime que 60% des infections recensées sur le territoire concernent les ovins avec un taux de létalité moyen de 71,4% (source: media, 20/01/2024). L’analyse d’impact en élevage bovin réalisée aux Pays-Bas révèle que plus de 2 200 élevages ont signalé des symptômes de la maladie. Les plus touchées sont les exploitations laitières et les élevages de jeunes bovins (70% des foyers). Ces données sont à interpréter avec précaution mais un taux de mortalité plus élevé est déjà rapporté.
Réagir, comment ?
L’expérience acquise au cours des premières émergences a permis de réfléchir aux méthodes de prévention qui reposent sur l’épidémiovigilance, l’anticipation et la réactivité.
Toutefois, les obstacles sont multiples, à savoir la multiplication de nouveaux insectes favorisée par la hausse des températures, l’émergence de virus «chimères» par recombinaison et l’extension rayonnante des maladies suivie de leur installation. Rappelons-nous la maladie de Schmallenberg et son tour complet de l’Europe en 2 ans !
Grande menace tant économique que sanitaire, la MHE est catégorisée selon la Loi de Santé Animale « D + E », ce qui signifie la déclaration obligatoire des foyers, la restriction des mouvements intra-communautaires et la mise en place d’une surveillance intégrée du bétail, de la faune sauvage et des populations de vecteurs. Pour le reste, les stratégies de contrôle de la MHE sont limitées, sans vaccin commercial disponible à ce jour.
En plus de la classification « D +E » entrainant déclaration obligatoire, surveillance et certifications lors des échanges commerciaux, la FCO est de plus catégorisée « C », c’est à dire pouvant faire l’objet d’un plan d’éradication facultatif, moyennant un vaccin… encore non disponible mais peut-être à disposition dans les prochains mois !
Pour conclure
Gérer ces maladies émergentes serait-il une mission impossible face à l’introduction annoncée voire effective de virus exotiques en Europe, suite au commerce d’animaux vivants, aux déplacements d’insectes vecteurs infectés et à la faveur du réchauffement climatique ? La vaccination d’urgence peut être envisagée mais elle implique précisément la disponibilité rapide du vaccin et son efficacité envers le sérotype circulant. Constituer une banque de vaccins au plan national et/ou européen passe par une étude coût/bénéfice. Concevoir des vaccins contre chacun des virus à risque est irréaliste.
Entre temps, parce que c’est l’une de ses missions premières, l’ARSIA veille : surveillance rapprochée de ces deux maladies depuis la salle d’autopsie jusqu’au laboratoire, de leur progression, et en cas d’arrivée sur notre territoire, mobilisation de nos équipes en collaboration avec les autorités sanitaires.
Pour finir sur une bonne nouvelle… toute analyse liée à la suspicion et la détection de ces virus est prise en charge par l’AFSCA.
L. Delooz le rappelle et insiste : « Un système de surveillance qui fonctionne est un système qui vit ; lors de chaque suspicion, n’hésitez pas à l’analyser ! ».